• Article NM sur JPF

    Rencontre, à  Carry-le-Rouet, avec l'homme de l'été.
    "Qui veut gagner des millions ?", le jeu de TF1 devient un phénomène de société.
    par Alain Laville
    Nice-Matin du 26 juillet 2000

    « Ce n’est pas mon dernier mot »

    Au mur de son bureau, dans la maison de Carry-le-Rouet, près de Marseille, une couverture de magazine télé, qui salue la folie de l'été, Qui veut gagner des millions ? Jean Pierre Foucault n'a pas fini d'entendre parler du jeu, aux audiences records, de TF1 : « Même le Nouvel Obs m'appelle! Je vais chercher du pain, je prends l'avion, je fais un tour à moto. On me parle de millions. Jusqu'à Johnny, au stade Vélodrome, qui me dit, dans sa loge, avant le concert : Alors, on gagne combien de millions, demain ?»
    Au pied de son bureau, la photo d'un animateur dents blanches, voix de soleil, qui lui ressemble: « Je débutais, à 18 ans, sur RMC». Trente quatre ans de radio, et de télé, plus tard, Jean-Pierre détaille la chronique d'un triomphe annoncé : «Les créateurs de Qui veut gagner des millions ? ont tout compris. C'est un jeu démocratique. D'abord, les candidats ne sont pas sélectionnés sur leurs seules connaissances, comme à Questions pour un champion. Puis, ils peuvent prendre la question suivante, sécher, et, malgré cela, partir avec ce qu'ils ont déjà gagné. Enfin, il y toute une dramaturgie, de la lumière, à la musique. Le tout est diabolique. Le téléspectateur se dit qu'il est plus intelligent que le candidat».
    Sur les étagères, du bureau, toujours, des dictionnaires, des anthologies. Certains trouvent el les questions que pose Jean-Pierre, faciles. Voire, comme «Libération», qui consacre quatre pages à ce phénomène de société, «enfantines», «infantiles» : « Ce journal a, sans doute, la science infuse. Nous avons eu un candidat, étudiant dans une école d'ingénieurs. Il ne se souvenait pas de ce que le Petit Poucet semait derrière lui. Mon avocat m'a juré qu'il ne savait pas ce qu'est le poulailler au théâtre».
    Sur une autre étagère, une photo de sa fille Virginie, reine d'Internet, avec le site pay per view.com. Celle par qui le jeu lui est arrivé: «Elle m'a rapporté des cassettes de la version américaine. J'ai été emballé. J'ai dit à Etienne Mougeotte, le vice président de TF1, que s'il l'achetait, j'étais partant. Je déjeunais chez Flo, à Nice, avec l'équipe de votre journal, le jour du casting de jeunes animateurs, quand il m'a appelé sur mon portable. Affaire conclue».

    Spéciale, le 31 juillet
    Sur son bureau, une coupure de presse. Jean-Pierre, et l'état major de TF1 : «Nous allons discuter, en août, avec Etienne. La chaine a le droit, par contrat, de diffuser quarante émissions, d'ici la fin de l'année. Nous revenons à Noël, et le 31 juillet, nous proposons une spéciale de 90 mn, à 20h55. Les trois millions, gain maximum, restent à emporter». Les millions au quotidien? «Cela banaliserait le jeu. L'une des clés de son succès, à travers le monde, est sa rareté, le manque qu'il provoque». Avec cette expression incontournable de Jean-Pierre, avant de valider chaque question: «C'est votre dernier mot ?». «On l'emploie, désormais, à tout propos, dans la vie quotidienne. Elle me colle, déjà, à la voix».
    Sur le bureau de Jean-Pierre, encore, une photo noir et blanc qu'a retrouvée, il y a peu, sa mère, 84 ans. Un homme à son bureau, chic, cheveux gominés, qui téléphone. Son père. Assassiné, dans une rue d'Alger, un jour de 1962. A 52 ans. On n' a jamais su par qui ni pourquoi. Il exportait des fruits vers Marseille. Jean-Pierre ne peut passer devant un étal sans que lui revienne le parfum des oranges et des citrons, sur les bateaux du port, où son père l'emmenait. Sur une deuxième photo, presque sépia, la famille Foucault, en Delahaye. Elégante voiture des années cinquante. Elle devrait dormir dans le garage, un peu plus bas. Elle n'appartenait plus à la famille. L'équipe de Sacrée Soirée, au temps des surprises, s'est démenée pour la retrouver, à partir de l'immatriculation. Le propriétaire refuse de la vendre. Depuis des années : «Elle était cotée 500 000 francs. Elle vaut moins». Constat dérisoire. Elle rouille sous la poussière d'une casse de Haute-Vienne: «Sur le tableau de bord, demeure la plaque, Marcel Foucault, comme à l'époque». Constat encore plus dérisoire.

    Son copain mécano
    Dans des albums, d'autres photos de belles voitures du passé. Passons au garage, où Jean-Pierre les débarrasse de leurs housses, comme de fraîches conquêtes. Une Morgan, une 202, une Traction Avant, une 2 CV, avec 60 kilomètres au compteur : «Elle n'avait jamais roulé. Celui qui l'avait commandé est mort avant de la recevoir. Ses proches l'ont gardée». Une 4 CV et une Dyna Panhard, couchent ailleurs. Le garage est plein. Jean-Pierre n'a pas le droit d'agrandir. Avec André, copain mécano, entre deux émissions, il désosse, pièce par pièce, retape, rénove. Le prince de l'Audimat met les mains dans le cambouis. Redevient un Foucault comme les autres. On peut voir dans cette collectionnite la fidélité au père trop peu connu, qui aimait conduire grand style. Ou, plus simplement, la passion d'un éternel enfant, loin des tourments de l'audiovisuel.
    Photo encore, et toujours d'une bande de copains. On distingue Claude Moreau. L'ami d'enfance. L'indestructible : Il m’a signalé un terrain. J'ai aussitôt fait construire cette maison La sienne est à côté. Nous sommes dans une anse protégée. Les bateaux n'ont pas droit au mouillage. Regardez». La mer infinie qui se déroule, au pied de la maison, où l'on se sent comme chez soi. On y parle de l'autre défi de Jean-Pierre, Le Grand soir: «Le vendredi, tous les quinze jours, à partir du 8 septembre, reportages, variétés, actualités. Je suis, ainsi, parti à Louxor, en Egypte, avec le romancier Christian Jacq».
    Au mur de son bureau, enfin. la photo de trois vieillards, sur un banc. Drucker, Foucault, et Sebastien. Une idée de celui-ci pour une émission de TF1 : « Le grimage nous montre à 80 ans ». Beaucoup d'animateurs connus ont disparu de l'écran, tel Jacques Martin. Ces trois là demeurent fidèles au poste de télé. Jean-Pierre n'en tire aucune gloire: «Nous avons la rigueur. et une vie équilibrée. Cela aide . Pour ne pas dire son dernier mot.